sexta-feira, 27 de novembro de 2009

L'élitisme renversé

On m'interroge sur la promotion sociale. Je réponds qu'elle doit consister dans la sélection des meilleurs et je me fais aussitôt accuser "d'élistisme".

Le terme est récent, et il implique une nuance péjorative: esprit et orgueil de caste, mépris des humbles, etc.

Revenons au sens des mots. L'élite (de: choisi, élu) désigne, d'après le dictionnaire, "ce qu'il y a de meilleur" dans les choses et dans les êtres. Ainsi les grands crus de Bordeaux font partie de l'élite des vins, les fameux "verts" de Saint-Etienne, représentent l'élite des joueurs de football, etc.

Cela admis, n'est-il pas normal de préférer et de privilégier le meilleur? Dois-je pour éviter l'élitisme, trouver autant de saveur à la volaille aux hormones qu'u poulet de ferme? Et n'est-il pas juste que, dans la société, les places de choix reviennent à ceux qui se distinguent par leurs talents et par leur activité et rendent ainsi les meilleurs services à la communauté? Les exames scolaires, puis la qualité du travail et la compétition professionnelle n'opèrent-ils pas dans ce sens? Et comme il ne peut pas exister de société sans hiérarchie, n'est-il pas souhaitable que cette hiérarchie soit fondée sur la sélection et la promotion des meilleurs? A la limite, sarait-ce témoigner d'un élitisme suspect que de refuser un poste de professeur à un illetré ou le permis de conduire à un aveugle?

Ce qui m'inquiète aujourd'hui, c'est la croissance diffuse d'un nouvel élitisme, d'un élitisme à rebours, issu d'une false notion de l'égalité et d'une sentimentalité dévoyée, et qui se manisfeste par la préference accordée aux inadaptés, aux inutiles, aux parasites, voire aux malfaiteurs.

Epinglons quelques exemples de ce renversement des valeurs.

Je connais des pédagogues qui déclarent les cancres plus intéressants que les élèves doués et qui récusent énergiquement les vieux critères de sélection, tels que notations, classements, examens, etc.

La Sécurité Sociale,---dont je ne conteste pas le principe humanitaire, mais le mode de fonctionnement où fleurissent l'anonymat et l'irresponsabilité,---ne favorise-t-elle pas trop souvent les paresseux et les resquilleurs au détriment des travailleurs qui, fidèles à leur tâche, n'éprouvent pas de besoin de monnayer le moindre bobo en repos immérité et en soins superflus?

L'inflation érode chaque jour le revenu et les économies des producteurs. Mais elle permet aux spéculateurs de réaliser des gains énormes sans faire oeuvre utile, par le seul jeu des signes monétaires.

Les malfaiteurs, les criminels inspirent plus de commisération que leurs victimes, la société étant déclarée à priori la grande, sinon l'unique coupable. J'ai parlé naguère d'une prison new-look installée en Corse où, la résidence forcée mise à part, les détenus jouissent d'un confort et d'un luxe (plage privée, plusieurs centaines d'hectares de parc, etc.) dont tant d'honnêtes gens n'oseraient même pas rêver...

Faut-il parler aussi de l'attention et de la publicité privilégiées qu'on accorde aux marginaux de toute espèce: hippies, prostituées, aberrants sexuels, etc? Au succès des publications et des spectacles qui abondent dans ce sens? Comme si, par une étrange perversion du goût, la société était deveneu plus friande de ce qui l'empoisonne que de ce qui la nourrit...

Je clos ces exemples sur cette savoureuse anecdote. Dans une université étrangère dont je tais le nom, deux professeurs de compétence à peu près égale sont proposés au choix des autorités pour l'obtention d'une chaire. L'un est un homme parfaitement équilibré, l'autre un grand névrosé déjà titulaire, outre les diplômes exigés, de plusieurs dépressions qui ont compromis son enseignement précédent. On donne la chaire au second avec cette idée que sa fragile nature ne supporterait pas l'échec tandis que le premier est assez solidement structuré pour l'assumer sans dommage. Compassion envers un malheureux, je veux bien. Mais cruelle inconscience à l'égard de son collègue, éliminé en raison même de sa supériorité, et des centaines d'élèves qui subiront plus tard les conséquences de ce choix inhumain par excès d´humanité.

Ainsi croule l'élite fondée sur la valeur sous la pousée d'une contre-élite: celle de l'écume et du rebut. Encore quelques pas dans cette voie, et il suffira d'être supérieur ou seulement normal pour récolter l'indifférence, sinon la suspicion et la défaveur...

Qu'on m'entende bien: je ne nie pas que les plus faibles doivent être, non seulement protégés contre les abus des plus forts, mais encore aidés par ces derniers: j'affirme seulement qu'ils ne doivent pas être préférés et choyés comme tels. Que l'incapacité et, à plus forte raison, le parasitisme et la malfaisance ne doivent pas donner droit à des traitements de faveur. Qu'on soulage les déshérités, qu'on réeduque les anormaux, mais que leurs lacunes ou leurs tares ne deviennent pas des moyens de chantage et des objets de promotion.

Je sais aussi que l'équilibre est difficile à garder, même dans les sociétés les plus saines, entre les droits du plus fort (et je prends ce dernier mot dans son sens le plus haut: force de l'intelligence et de la volonté, puissance d'action, etc.) et le devoir de secourir les plus faibles et les dévoyés---entre la loi de la jungle qu élimine impitoyablement les inadaptés et un humanitarisme déliquescent qui consacre et encourage l'impéritie et le vice. Il n'en reste pas moins---et c'est un des grands dangers de notre libéralisme dit "avancé"---que si ce déplacement de l'élite du haut vers le bas continue à se généraliser, c'est la société tout entière qui risque de s'écrouler sous le poids de cette promotion à rebours des inutiles et des parasites.

Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets , 17 septembre 1976)