domingo, 21 de outubro de 2012

Méditation et action (III - Final)


Le réflexe prend le pas sur la réflexion et le signal remplace le signe

À une époque où l'homme, délivré des servitudes de la matière, devient l'esclave de ses moyens mêmes de libération et où tour se fait sous le signe de la vitesse, il n'y a rien de plus urgent que de reconquérit un peu de vrait liberté, de ne pas se laisser emporter tout entier par le mouvement --- un mouvement où le réflexe prend le pas sur la réflexion, et où le signal remplace le signe. Comment définir un signe? C'est l'évocation d'une réalité invisible par une réalité visible.. Un serrement de mains, un baiser, ce sont des signes: des gestes qui, en eux-mêmes, n'ont pas tellement d'importance, mais qui prennent une importance infinie dès qu'ils se chargent d'amitié ou d'amour. De même une oeuvre d'art: elle ne vaut que par l'invisible contenu dans le représenté. Et les mots: des paroles creuses s'ils ne renvoient pas à l'inexprimable. Mais pour aller du signe au signifié, il faut rentrer en soi-même, méditer... Tandis que le signal n'appelle que le réflexe, l'automatisme, qui exclut la réflexion, justement. Dans certains cas, il est recommandé d'avoir de bons réflexes plutôt que de réfléchir: par exemple, quand vous conduisez votre voiture, mieux vaut por vous ne pas trop méditer sur ce que vous avez à faire! Mais répondre dans tous les domaines comme un automate à tous les signaux qui nous sont adressés, à toutes les sollicitations qui nous sont faites (et c'est bien le but visé par les publicités de nous ordres), eh bien, cela nous viderait bientôt de toute substance humaine.

Ce vide intérieur, dont le premier symptôme est l'ennui qui dêvore beaucoup de nos contemporains, surtout les jeunes, est peut-être la plus grande menace qui pèse sur l'homme moderne. On nous rabâche sans cesse que nous vivons une "époque passionnante". C'est vrai, mais c'est précisément dans cette époque passionnante que se pose, avec une acuité et une urgente encore inédites dans l'Histoire, le problème de l'ennui et de l'utilisation des loisirs. La vanité et la basse qualité des distractions où se réfugient tant de nos contemporains nous donnent la mesure du vide intérieur creusé par l'absence de méditation. "Ce grand malheur de ne pouvoir demeurer en repos dans sa chambre", disait Pascal. Je sais bien qu'on ne doit pas rester toujours dans sa chambre... Mais il faut savoir y rester de temps en temps, et même assez souvent! Sans un minimum d'activité intérieure, on devient inapte à l'activité extérieure. C'est alors qu'on sombre dans l'ennui et dans l'obsession d'être "désennuyé" à n'importe quel prix (pourvu que ce ne soit pas au prix d'un effort personnel!). À propos d'ennui, on m'a raconté qu'à New York, neuf mois après la fameuse panne d'electricité qui avait duré neuf heures, on avait observé un boom des naissances. On a donc interrogé les gens: "Que voulez-vous, ont-ils réponds, il n'y avait plus de télévision, il n'y a rien d'autre à faire!" C'est un peu curieux tout de même... Ce n'est flatteur pour ces dames... ni pour ces messieurs d'ailleurs! C'est le monde à l'envers: normalement, c'est à la technique de prendre le relais de la nature; par exemple, on allume l'electricité le soit, quand le jour baisse et ne suffit plus à nous éclairer, tandis qu'en cette circonstance on a eu recours à la nature pour suppléer les défaillances de la technique.

Cette anecdote me rappelle, par contraste, un vieux souvenir. J'ai vécu quelque temps, jadis, dans le pays d'Afrique du Nord... Les indigènes peuvent rester immobiles et silencieux indéfiniment... J'en voyais qui attendaient ainsi l'autobus dans une sérénité absolue --- un autobus qui passait toutes les ving-quatre heures! "Ce sont des abrutis!" est le premier mot qui vient à l'esprit des Européens. Mais nous n'avons pas la moindre preuve qu'ils soient des abrutis! Je crois au contraire qu'ils sont beaucoup plus capables que nous de méditer et de communier avec la nature. Je me souviens d'un ami officier qui les connaissait peu: il avait demandé à son ordonnance berbère de lui amener son cheval à huit heures du matin. Puis --- il avait dû modifier ses projets --- il oublia son ordre. Voilà le pauvre. Ali qui l'attend toute la journée. Le soir, mon ami se souvient tout à coup de la consigne et se précipite, tout confus: "Comme tu as dû t'ennuyer", lui dit-il, et Ali de répondre: "Moi, m'ennuyer, capitaine? Mais je n'avis rien à faire!" Savoir ne rien faire, cela suppose parfois beaucoup plus d'esprit, et surtout beaucoup plus d'âme, que ne pas "savoir s'arrêter", comme tant de gens aujourd'hui qui se fuient eux-mêmes ans une activité frénétique.

La clef de la mesure est dans l'absolu.

Résumons-nous. Les valeurs immutables, les étoiles fixes de la destinée ne se dévoilent qu'au regard immobile et intérieur de l'homme qui médite. Seule la médotation nous met en communication avec le monde inaltérable, et nous enseigne la limite en nous révélant l'infini.

Notre siècle oublie trop souvent l'abîme qui sépare les valeurs absolues et invariables (le Vrai, le Beau et le Bien qui sont l'objet de la philosophie, de l'art et de la religion) des valeurs relatives et changeantes que brassent les sciences et les techniques. Les premières se situent au-delà du temps et ne sont pas susceptibles de progrès intrinsèque; les secondes se succèdent et se perfectionnent sans cesse au cours du temps. Il est évident que les valeurs temporelles, qui règlent l'action, doivent s'inspirer des valeurs éternelles, dont la méditation nous ouvre l'accès. Le mot de saint Augustin: "Quid hoc ad aeternitatem"? ("Qu'est-ce que cela qui n'est pas éternel?") s'applique à tout ce qui passe rapport à ce qui demeure. La clef de la mesure est dans l'absolu.

C'est par la méditation que l'homme de demain pourra dominer son siècle et juger avec pertinence les transformations que les progrès techniques et l'évolution des moeurs et des modes feront se succéder sous ses yeux. C'est en elle qu'il trouvera son unique chance d'échapper aux pressions sociales plus contraignantes que jamais à cause de la puissande toujours accrue des moyens de diffusion. La méditation, acte solitaire, vaccine l'individu contre les maladies du troupeaus, contre les épidémies de l'opinion. Savoir dire non quand il le faut et autant qu'il le faut devient l'impératif majeur de l'homme moderne. L'homme de demain aura d'autant plus besoin de méditation qu'il sera davantage voué à l'action: pour faire contrepoids à la l'action d'une part, et pour lui donner un sens d'autre part; pour échapper à la dispersion, à l'emiettement intérieur comme à la centralisation technocratique, pour résister à la règle imposée du dehors à ceux qui ne trouvent pas en eux-mêmes leurs raisons de vivre et d'agir.

La puissance même dont dispose l'homme moderne rend impérieuse l'exigence de vie intérieure. Car cette puissance non assumée par l'esprit, non orientée vers une fin supérieure, ne peut que se retourner contre nous et nous conduire au chaos et à l'esclavage, l'esclavage étant l'organisation artificielle du chaos. Dans un éclair de lucidité, le prodigieux homme d'action que fut Bonaparte fit cet aveu: "Je suis condamné par ma nature à ne remporter que des victoires extérieures." Les victoires extérieures, réduites à elles-mêmes, sont des défaites de l'âme. C'est aussi le mot du Poète: "On est vaincu par sa conquête [Victor Hugo, "L'expiation", Les Châtiments: "On était vaincu par sa conquête".]

Je vous citerai, pour conclure, ce dialogue apocryphe entre Sénèque et Néron --- apocryphe, mais que se rapporte certainement à quelque chose d'authentique, tant on y reconnaît l'esprit de Sénèque: "Mais enfin, est-ce que tu ne sais pas que mon pouvoir égale celui des dieux?" Et Sénèque lui répond: "Plus ton pouvoir se rapproche de celui des dieux, plus tu dois redouter les dieux." Autrement dit, ton être intérieur est d'autant plus menacé que ton pouvoir extérieur est grand.

domingo, 7 de outubro de 2012

Méditation et action (II)


"L'accéélération de l'Histoire"

Daniel Halévy a décrit notre époque comme celle de "l'accéleration de l'Histoire". En fait, il se produit plus de changement dans une décennie actuelle que dans un siècle du passé. Tout se transforme autour de nous à une cadence de plus en plus rapide: les techniques et leurs produits sont sans cesse supplantés par de nouvelles techniques et de nouveaux produits. L'homme d'action, s'il ne veut pas être dépassé et éliminé, doit non seulement savoir s'adpter à un présent toujours changeant, mais aussi préparer sans cesse l'avenir. Cet état de choses a donné naissance à une nouvelle science: la prospective. Je ne reprendrai pas ce qui a été dit ici sur la prospective par mon ami Gilbert Tournier. Mais en effet, plus on va vite, plus il faut prévoir, c'est-á-dire voir ce qui ne se voit pas encore. Il est certain que si l'on conduit un char à boeufs, ce n'est pas la peine de regarder très loin devant soi. Mais si l'on est sur l'autoroute, mieux vaut savoir ce qui se passe et ce qui risque de se passer sur la plus grande distance possible. De même aujourd'hui, si l'on conduit une entreprise... Le développement de bureaux d'études, où travaillent des hommes non engagés dans l'action à courte échénace, répond à cette exigence.

Un autre danger de l'action livrée à elle-même est celui de la stérilité intellectuelle et vitale dont s'accompagnent trop souvent le surmenage et la spécialisation. L'homme engagé dans une activité trépidante et à court terme perde facilement la capacité de réflechir, de situer et de relier les problèmes, de faire des synthèses. Il tend à réfléchir dans son action la passivité et l'automatisme des choses sur lesquelles il agit --- autrement dit, à devenir chose lui-même. Ses facultés d'initiative et de création se trouvent ainsi compromises, y compris dans sa propre spécialité. Car toute et solidaire dans l'homme comme dans la nature, et les divers étages du savoir se soutinnent réciproquement: les grands inventeurs sont des hommes complets. On a fait en Amérique cette curieuse expérience --- qui me paraît intéressante quoique peut-être un peu moins spectaculaire qu'on ne le prétend --- sur des techniciens plus ou moins "stérilisés" par une longue activité dans la même branche. On les a libérés de leur travail pour les placer dans un lieu attrayant et reposant où il n'était plus question de leur tâche professionnelle et où tout leur temps se passait en promenades, en conversations, en lectures, en concerts, en sapectacles, etc. Après quoi, rafraîchis et r´générés par ce bain de nature et de culture, ils seraient redevenus "efficients" dans leur domaine...

Je pense à ce bon évêque de l'ouest de la France, qui est très vieux aujourd'hui. Je dinais chez lui un soir. Nous étions donc à table et nous attnedions le directeur des OEuvres, un homme très pris. Il s'était fait tellement attendre que nous avions commencé le repas sans lui. Il est arrivé entre le potage et le premier plat, complètement survolté: "Messieurs, nous dit-il, vous le savez, le prête est un homme mangé! Et le vieil évêque de lui rópondre en bralant la tête: "Pourvu qu'il soit nourrisant..."

Le vertige de l'action

Naturellement, l'homme a besoin de méditer, non seulement en tant qu'homme d'action, mais en tant qu'homme tout court. Et plus encore peut-être l'homme d'aujourd'hui et de demain, car il risque d'être dénaturé par sa participation au dynamisme dévorant du monde minéral qui, autant que nous pouvons le prévoir, régnera de plus en plus sur notre planète...

On ne parle aujourd'hui que de "dynamisme" et d' "efficacité", comme si ces mots exprimaient toujours une valeur positive, et sans préciser quelle est la nature de la force exercée et de l'effet produit. Ce qu'on demande avant tout aux hommes d'action --- et cela se comprend ---, c'est l'efficacité. Mais il ne faut tout de même pas oublier que l'efficacité, en elle-même, n'est que le fait de tout ce qui produit un effet, n'importe quel effet... Si vous me donnez un coup de poing en pleine figure, l'effet s'inscrira sur ma figure à l'instant même! Si vous éduquez un enfant, l'effet sera beaucoup plus loin, plus incertain, plus subtil... Camus faisait déjà remarquer que l'efficacité du typhon n'est pas du même ordre que celle de la sève... Il y a une hiérarchie des effets, et, en règle générale, plus on descend vers la matière, plus les effets sont rapides et spectaculaires. Il ne s'agit donc pas de rechercher l'efficacité à tout prix, mais de la rechercher au niveau convenable, humain, qui n'est pas forcément celui où elle est le plus immédiatement évidente. Lá encore, la réflexion s'impose...

L'homme en proie au vertige de l'action est toujours tenté, suivant le mot d'un jeune philosophe contemporain, de "mettre sa fin dans la perfectionnement des moyens". De là résulte la crise de finalité qui affecte notre siècle. On va de plus vite, mais on ne sait plus où on va... On cherche aussi à compenser, par l'accumulation de l'avoir, l'unité perdue de l'être. L'homme moderne ressemble à un homme qui aurait sacrifié ses entrailles pour se procurer une énorme quantité d'aliments, et qui mangerait sans cesse sans jamais rien assimiler. Il souffre d'une sorte de diabète ontologique... (le sens étymologique du mot diabète, c'est passer au travers...).

"Singulière fortune, écrit Baudelaire, Où l'homme dont jamais l'espérance n'est lasse/Pour trouver le repos, court toujours comme un fou." Celui qui ne sait plus méditer cherche refuge dans l'agitation. Sa règle de vie se réduit à ceci: faire n'importe quoi, mais faire quelque chose. Cette fièvre de l'action agit comme un narcotique sur nos plus hautes facultés. En effet, par les satisfactions qu'elle donne et par la fatigue qu'elle procure, l'action tend toujours à trouver sa justification en elle-même: la bonne conscience" inhperente à l'homme qui "a bien travaillé" lui voile les problèmes suscités par son action. Allez dire, par exemple, à un industriel que les produits qu'il fabrique sont peut-être inutiles ou nocifs: le pauvre homme, déjà obsédé par son labeur quotidien et les soucis de production et de vente, ne manquera pas de vous renvoyer à vos propres affaires avec une certaine irritation... Il n'est pas facile de hausser les problèmes techniques et économiques au niveau humain et social.

Continua ...