terça-feira, 25 de outubro de 2011

Tuer le temps

Étrange duel entre le temps et nous... Vraiment, nous ne sommes pas accordés au temps: nous gémissons sur sa brièveté, et nous faisons n'importe quoi pour en venir à bout; nous le débordons de tout l'infini de nos voeux et de nos rêves et nous n'avons pas assez de réalité pour le remplir; avant qu'il nous tue, que ne faisons-nous pas pour le tuer! Que le même être qui tremble devant la mort ne trouve pas en lui de quoi peupler une heure, cette contradiction est le signe que nous sommes faits, non pour la succession, mais, en tant qu'animaux, pour l'instant nu et, en tant qu'esprits, pour l'éternité. --- Notre perception du temps, avec la prévision et le souvenir --- l'avant et l'après --- est une espèce de synthèse bâtarde de ces deux éléments de notre nature: le flot qui nous emporte, et l'océan immobile qui nous attend. Cette expérience de la durée --- par laquelle nous dominons l'écoulement universel tout en lui restant soumis --- constitue un cadre trop vaste pour notre être sensible et trop étroit pour notre être spirituel. Une partie de nous se perd dans le temps comme dans un désert, l'autre y étouffe comme dans une prision. C'est la capacité d'envisager l'avenir, c'est cette étrange faculté de dépasser l'instantané sans accéder à l'éternel, qui fait naître en nous ces deux sentiments en apparence contradictoires: l'ennui (avec son désir de tuer le temps) et la crainte de la mort (avec son voeu de le prolonger sans fin). Car qu'est-ce qui crée l'ennui sinon l'anticipation sur un avenir vide et qu'est-ce qui fait redouter la mort si ce n'est l'image d'un avenir tronqué?

Le crainte de la mort et bien, comme l'ont répété sans fin les stoïques, un produit de notre imagination: tant qu'on la craint, on est vivant, et quand on et mort, on ne la craint plus! Les stoïques oublient seulement une chose: c'est que l'homme et incapable de vivre dans un pur présent, il vit écartelé entre le passé et le futur. Pour s'abandoner tout entier à l'instant qui passe, il devrait se jeter tout entier dans l'instant qui demeure... Pour retrouver l'innocence de l'animal, il faudrait qu'il remont jusqu'à l'innocence de Dieu. (C. XXIII)

Fonte: "Aux ailes de la lettre" - Éditions du Rocher.