Talleyrand étant ministre, un de ses amis lui recommanda un jeune homme qui sollicitait un emploi dans la diplomatie. "Prenez-le sans crainte, Monseigneur, lui écrivait-il, vous en serez satisfait: ce jeune homme sait tout.'' Talleyrand reçut le postulant, s'entretint une heure avec lui, puis écrivit à son ami: "Vous aviez raison. Ce jeune homme sait tout; malheureusement, il ne sait que cela.''
Ces mots sont plus actuels que jamais: ils nous montrent l'abîme qui sépare le théoricien désincarné de l'homme d'action et d'expérience. Le savoir puisé dans le livres représente bien peu de chose s'il n'est pas sans cesse complété, vérifié ou corrigé par celui qu'on tire du contact personnel avec la réalité. La langue allemande a deux mots bien differents pour désigner ces deux aspects du savoir: wissen et erleben. L'un concerne la connaissance purement intellectuelle et l'autre la connaissance vécue.
Regardons autour de nous et nous trouverons sans peine des exemples qui nous feront saisir cette différence.
Telle jeune fille, qui aura suivi des cours ménagers et saura par coeur les meilleures recettes de cuisine, se montrera incapable de confectionner un plat vraiment savoureux, tandis que sa mère, qui n'a jamais ouvert un livre de cuisine, préparera sans réflechir des mets succulents.
J'ai connu un jeune érudit qui avait rédigé une thèse remarquable sur l'Amour à travers les âges. Or, ce jeune homme, qui n'ignorait rien de toutes les subtilités de la litérature amoureuse, était l'être le plus embarrassé, le plus décontenancé qu'on puisse rêver, le plus incapable d'amorcer "un brin de cour'' dès qu'il se trouvait en présence d'une jeune fille. Il savait tout et ne pouvait rien.
J'ai connu aussi un éminent professeur qui avait écrit un gros ouvrage sur l'education et qui ne comprenait absolument rien aux réactions de ses propres enfants. Alors que tant de pères de famille élèvent admirablement les leurs sans avoir jamais étudié la psychologie de l'enfant ni les techniques de l'éducation.
Combien d'étudiants en médicine, enfouis dans leurs livres, connaissent sur le bout du doigt les symptômes de toutes les maladies et se trouvent désarmés devant un malade en chair et en os.
Une des grandes faiblesses du monde moderne, c'est de subir trop exclusivement l'influence de ceux qui ne possèdent que ce côté théorique du savoir, c'est-à-dire les savants et les professeurs. "Celui qui le sait, le fait, disait un humoriste; celui que ne le sait pas, l'enseigne.''
Le savoir théorique est toujours utile, mais il n'est jamais suffisant. Réduit à lui-même, il provoque un complexe de présomption et d'impuissance que est souvent plus nuisible que l'ignorance. Pour ne citer qu'un seul exemple, évoquons le dirigisme économique dont les règlements, élaborés par des théoriciens en chambre, perturbent gravement les mécanismes concrets de la production et de la consommation.
Le savoir abstrait ne met en jeu que les facultés cérébrales; le vrai savoir concerne l'homme tout entier: il implique l'intuition, la sympathie, la finesse, le sens pratique, l'instinct créateur, etc... c'est-à-dire un ensemble de qualités qui nous sont données d'abord par la nature et qui ne se développent ensuite qu'a l'école de la vie et de l'expérience. Sans lui, la science théorique demeure superficielle et stérile, car la valeur profonde d'un homme se mesure au résultat de ses actions et non à l'étendue de ses connaissances.
Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets, 3 juin 1977)
Ces mots sont plus actuels que jamais: ils nous montrent l'abîme qui sépare le théoricien désincarné de l'homme d'action et d'expérience. Le savoir puisé dans le livres représente bien peu de chose s'il n'est pas sans cesse complété, vérifié ou corrigé par celui qu'on tire du contact personnel avec la réalité. La langue allemande a deux mots bien differents pour désigner ces deux aspects du savoir: wissen et erleben. L'un concerne la connaissance purement intellectuelle et l'autre la connaissance vécue.
Regardons autour de nous et nous trouverons sans peine des exemples qui nous feront saisir cette différence.
Telle jeune fille, qui aura suivi des cours ménagers et saura par coeur les meilleures recettes de cuisine, se montrera incapable de confectionner un plat vraiment savoureux, tandis que sa mère, qui n'a jamais ouvert un livre de cuisine, préparera sans réflechir des mets succulents.
J'ai connu un jeune érudit qui avait rédigé une thèse remarquable sur l'Amour à travers les âges. Or, ce jeune homme, qui n'ignorait rien de toutes les subtilités de la litérature amoureuse, était l'être le plus embarrassé, le plus décontenancé qu'on puisse rêver, le plus incapable d'amorcer "un brin de cour'' dès qu'il se trouvait en présence d'une jeune fille. Il savait tout et ne pouvait rien.
J'ai connu aussi un éminent professeur qui avait écrit un gros ouvrage sur l'education et qui ne comprenait absolument rien aux réactions de ses propres enfants. Alors que tant de pères de famille élèvent admirablement les leurs sans avoir jamais étudié la psychologie de l'enfant ni les techniques de l'éducation.
Combien d'étudiants en médicine, enfouis dans leurs livres, connaissent sur le bout du doigt les symptômes de toutes les maladies et se trouvent désarmés devant un malade en chair et en os.
Une des grandes faiblesses du monde moderne, c'est de subir trop exclusivement l'influence de ceux qui ne possèdent que ce côté théorique du savoir, c'est-à-dire les savants et les professeurs. "Celui qui le sait, le fait, disait un humoriste; celui que ne le sait pas, l'enseigne.''
Le savoir théorique est toujours utile, mais il n'est jamais suffisant. Réduit à lui-même, il provoque un complexe de présomption et d'impuissance que est souvent plus nuisible que l'ignorance. Pour ne citer qu'un seul exemple, évoquons le dirigisme économique dont les règlements, élaborés par des théoriciens en chambre, perturbent gravement les mécanismes concrets de la production et de la consommation.
Le savoir abstrait ne met en jeu que les facultés cérébrales; le vrai savoir concerne l'homme tout entier: il implique l'intuition, la sympathie, la finesse, le sens pratique, l'instinct créateur, etc... c'est-à-dire un ensemble de qualités qui nous sont données d'abord par la nature et qui ne se développent ensuite qu'a l'école de la vie et de l'expérience. Sans lui, la science théorique demeure superficielle et stérile, car la valeur profonde d'un homme se mesure au résultat de ses actions et non à l'étendue de ses connaissances.
Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets, 3 juin 1977)