quinta-feira, 14 de janeiro de 2010

Le relatif et l'absolu

La condition terrestre de l'homme est inconfortable. Par le fait de notre idéal, nous sommes irrésistiblement attirés par l'absolu et la perfection, et par le fait de notre faiblesse, nous sommes sans cesse condamnés à vivre dans la relatif et l'imperfection.

Quel est l'homme qui, en embrassant une profession ou en épousant une femme, n'a pas rêvé d'une réussite éclatante dans son métier ou d'un bonheur sans mélange dans son foyer?

Mais la vie, avec son cortège de difficultés et d'échecs, ne tarde pas à dissiper ces illusions.

Je causais récemment avec un jeune médecin qui était entré dans la carrière avec l'ardeur d'un apôtre: "Quelle déception, me disait-il. Des malades qui demandent des miracles et qui ne sont pas même capables d'observer un régime, sans parler de la paperasserie qui fait de moi un fonctionnaire de la Sécurité Sociale. La médecine est vraiment le dernier des métiers."

Peu de temps avant j'avais reçu les confidences d'un jeune époux qui, dans les années qui précédèrent ses fiançailles, s'était longuement nourri d'un livre de Gertrude von Le Fort, intitulé "La femme éternelle", dans lequel l'auter trace un portrait idéal de la nature féminine. "Comme ma femme ressemble peu à ce portrait, sospirait-il. Si j'avais su cela, je ne me serais pas marié."

De telles déceptions conduisent en général à deux réactions contraires.

Ou bien l'homme renie son idéal primitif et s'enlise dans la médiocrité quotidienne, dans un train-train professionnel et familial sans profondeur et sans horizon; il rentre, comme on dit vulgairement, "dans ses pantoufles".

Ou bien il conserve son idéal, mais au lieu d'essayer de l'incarner dans l'existence, il ne s'en sert que pour dénigrer la réalité; il adopte une attitude d'isolement et de défi. C'est le cas de certains idéalistes qui, selon Péguy, "ont les mains pures, mais n'ont pas de mais".

Nous devons dominer cette alternative: "La perfection n'est pas de ce monde", proclame la sagesse populaire. Cette évidence ne doit nous conduire ni à renoncer à la perfection, ni à désepérer du monde. Et l'Evangile nous livre la clef de l'harmonie entre notre besoin d'absolu et notre faiblesse. Le Christ nous dit: "Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait", mais il nous avertit aussi que l'ivraie et le bon grain ne seront jamais ici-bas complètement séparés et qu'en voulant arracher trop vite l'ivraie, on court le risque d'arracher en même temps le bon grain...

Le double devoir e l'homme consiste donc d'une part, à ne jamais cesser de poursuivre la perfection et, de l'autre, à se résigner à ne jamais l'atteindre. Notre idéal est l'étoile qui doit diriger notre marche, ce n'est pas une fleur qu'on puisse cueillir au bord du chemin. Et notre tâche ici-bas est de travailler sans répit à notre perfectionnement, afin de mériter la perfection absolue qui nous sera donnée dans la vie éternelle.

Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets, 4 mars 1977)