segunda-feira, 1 de março de 2010

Le bon sens

A la fin de a vie, Gabriel Marcel proclamait la nécessité de réabiliter le bon sens,---faculté de discerner spontanément le vrai du faux et, après Descartes, "la chose du monde la mieux partagée", du moins aussi longtemps que l'esprit des hommes résiste à l'intoxication des modes et des propagandes,---et dénonçait la carence de cette faculté essentielle chez la plupart des philosophes contemporains dont les idées s'articulent d'autant mieux dans l'abstrait (la vogue actuelle du mot idéologie est très significative) que leur contact avec le réel s'amenuise davantage.

D'où l'isolement des philosophes dans la Cité. D'abord par suite de l'irréalisme dont je viens de parler, ensuite à cause de leur langage ésotérique où l'obscurité tient lieu de profondeur et le massacre du vocabulaire d'originalité. Comme si la supériorité de l'intelligence se mesurait à l'initelligibilité du discours.

"Ma bouche est la bouche du peuple", disait le Zarathustra de Nietzsche en prenant congé des "savants". De fait, les pontifes de notre âge démocratique témoignent d'un étrange mépris du peuple. Ou bien ils lui parlent dans un jargon de spécialistes auquel il n'entend rien; ou bien, s'ils daignent se mettre à sa portée, c'est pour l'abreuver de slogans outrageusement simplistes qui désamorcent la réflexion en mobilisant les réflexes et par lesquels on le manipule sans l'éclairer. Bref, on ne lui laisse le choix qu'entre l'inassimilable et le prédigéré...

Tout gravite autour de quelques vérités premières qu'on qualifie dédaigneusement de "lieux communs". Le mot commun est ambigu: il signifie banalité, platitude, et il évoque aussi l'idée de communication, de communion. Le foyer, la fontaine, l'Eglise, la patrie sont des lieux communs. L'agora d'Athènes où enseignait Socrate était un lieu commun. De même les trèsors de la sagesse populaire dont la mesure où nous en connaissons trop bien la formulation. "Il faut repenser les lieux communs, disait Unamuno, pour les délivrer de leur maléfice." Il faut, par la réflexion, retrouver la fraîcheur, la fécondité originelles de ces pauvres mots déflorés, stérilisés par le piétinement moutonnier de l'habitude. Le premier devoir du philosophe est de dépoussiérer les vérités premières...

J'aime les messages délivrés en clair et je me méfie instinctivement de tout ce qui a besoin d'être décrypté. Sur ce point les hommes de pensée agissent à l'inverse des hommes de finance: chez ceux-ci, plus un coffre-fort comporte de serrures et combinaisons, plus il cache de trésors à l'intérieur; chez ceux-là, c'est trop souvent le vide qui se dissimule sous l'épaisseur des portes et la complication des serrures. A la limite, le ciel et Dieu n'ont pas de portes: le "Dieu caché", c'est le Dieu que nous nous cachons à nous-mêmes: le seul voile entre nous et lui est dans l'impureté de notre regard.

"Bienheureux les coeurs purs car ils verront Dieu..."

Font: Revista "Itinéraires" (Billets, 3 décembre 1976)