quarta-feira, 10 de março de 2010

Le mal, preuve du bien

Bien des personnes, accablées et révoltées par les souffrances et les déceptions, arrivent à penser que le monde est foncièrement mauvais et que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. "Je ne peux plus croire en Dieu, me disait récemment un homme chargé d'épreuves. Il y a trop de malheur dans le monde."

Je crois au contraire que le mal fait la preuve du bien: c'est parce que nous sommes destinés au bien que le mal nous fait si mal.

Cette affirmation se vérifie chaque jour, à tous les niveaux et dans les domaines.

Dans l'ordre moral, nous souffrons de l'injustice, de la méchanceté ou de l'indifférence des hommes dans la mesure où nous sommes nés pour vivre dans un climat de justice, de bonté et d'amour.

Dans l'ordre esthétique, la laideur nous choque par contraste avec la beauté, dont nous portons en nous l'image et l'appel.

Ainsi, sur tout les plans, nous ne sentons le mal que par référence au bien dont il nous prive. Le mal est comme une fausse note dans une harmonie ou comme une tache noire sur une belle robe blanhe: si nous n'avions jamais entendu de bonne musique ou si toute la robe était noire, la fausse note ou la tache sombre passeraient inaperçues...

Simone Weil condamne le pessimisme par ces lignes définitives: "Dire que la vie ne vaut rien et donner por preuve le mal est absurde; si cela ne vaut rien, de quoi le mal prive-t-el?"

Le bien est si conforme à notre nature que nous ne nous apercevons même pas de sa présence aussi longtemps qu'elle n'est pas interrompue par le mal. Par exemple, nous ne nous étonnons jamais d'être bien-portants; nous trouvons cela parfaitement normal, tandis que le moindre malaise nous surprend et nous irrite. Cella suffit à prouver que le bien est dans l'ordre et que le mal n'est qu'un accident.

De ce spectacle, nous devons tirer une double leçon.

D'abord, considérer le mal comme un accident et ne jamais perdre de vue le bien dont il est la contre-partie ou la blessure. "Tu te plains de ce que les roses aient des épines, dit un proverbe oriental: réjouis-toi plutôt de ce que les épines aient des roses."

Ensuite, voir dans cet accident un avertissement et un appel vers un plus grand bien. Dans l'ordre physique, la douleur est souvent un signal d'alarme qui nous invite à un changement de régime ou au repos. Il faut que le mal fasse mal: sinon rien ne nous arrêterait sur la pente de l'erreur et du péché et nous péririons sans recours. Si le contact du feu n'était pas douloureux, quel est l'enfant qui ne se laisserait pas brûler vif? Il ne va de même dans l'ordre spirituel et affectif. Si les défauts du prochain nous font souffrir, nous devons voir dans cette souffrance une exhoratation, à ne pas tomber nous-mêmes dans les mêmes fautes. Quant à nos échecs et à nos revers personnels, ils nous permettent de mesurer notre faiblesse et nos limites et nous enseignent l'humilité.

"Par la souffrance, la connaissance", disaient les Grecs. Je ne connais pas d'être plus vulgaire, plus sottement présomptueux et plus ignorant des réalités profondes de l'existence que l'homme qui n'a jamais souffert dans sa chair ni dans son âme et à qui tout a toujours réussi.

La conclusion et facile à tirer. Le mal, dans toutes ses formes, est un désordre. Et c'est en même temps un rappel à l'ordre. Quand il nous accable, au lieu de céder au découragement, nous devons profiter de ses leçons pour le mettre au service du bien.

Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets, 15 octobre 1976)