terça-feira, 2 de março de 2010

Le dirigisme des loisirs

J'écris ce billet d'Amérique où je suis depuis quelques jours.

J'ai rencontré hier un éminent personnage qui m'a confié qu'un des problèmes majeurs de notre époque était celui de l'organisation des loisirs. Les horaires de travail, m'a-t-il dir, sont de moins en moins étendus et, grâce aux progrès des techniques, ils diminueront encore dans l'avenir. Mais la question qui se pose est celle de l'emploi de ces loisirs. Les hommes ne savent que faire de ces heures libres: ils s'ennuient ou bien ils essayent de tuer le temps par des distractions superficielles, stériles et souvent malsaines, comme les jeux de hasard, la boisson, l'érotisme, des lectures ou des spectacles abrutissants, etc.

Cet état de choses inquiète les autorités du pays. Il faut, pensent-elles, organiser les loisirs comme on organise le travail. Et l'on m'a soumis tout un programme de loisirs dirigés et codifiés: horaires sportifs, spectacles gratuits, voyages collectifs et accompagnés, etc.

J'ai répondu en rappelant la définition du mot loisir dans l'excellent dictionnaire de Littré: état dans lequel il est permis de faire ce qu'on veut, du latin licere, avoir la permission de.---C'est dans ce sens que le loisir se distingue du travail: l'activité du travailleur est soumise à un horaire fixe et s'exerce toujours dans la même direction tandis que, dans le loisir, l'homme est libre de choisir l'activité qui lui convient.

Il en résulte que le loisir organisé, orienté, minuté ne mérite plus le nom de loisir. Nous souffrons déjà du dirigisme de la production et voici que nous marchons à grands pas vers le dirigisme de la fantaisie et de l'évasion. Quelle place va-t-il donc rester à la liberté dans notre existence?

Le spectacle de ces foules "conditionnées", qui se ruent vers les mêmes lieux de repos ou de plaisir, qui adorent les mêmes idoles du cinéma et du sport, qui se laissent guider par la mode dans tous leurs divertissements, montre que cette évolution a largement commencé. Il ne manque que l'intervention massive de l'Etat dans la "programmation" des loisirs pour couronner le tableau. On dit beaucoup de mal du travail à la chaîne. Mais que faut-il penser du loisir à la chaîne?

La vraie solution n'est pas dans le dirigisme des loisirs, mais dans l'éducation de la liberté. L'augmentation de la durée des loisirs est à la fois une promesse et une menace. Une promesse de libération et une menace d'esclavage. Si nous ne savons pas utiliser nos loisirs pour le plus grand bien de notre corps (détente physique, sport sainement pratiqué, reprise de contact avec la nature, etc...) et de notre esprit (lectures, spectacles, voyages enrichissants), la civilisation des loisirs risque de devenir une civilisation de l'ennui, du désoeuvrement et de tous les faux-fuyants qu'emploient les hommes pour échapper à l'ennui, c'est-à-dire pour tuer ce temps qu'ils sont incapables de remplir.

Il faut done apprendre à choisir, parmi les mille possibilités qui nous sont offertes, celles qui répondent le mieux aux vraies exigences de notre nature. Celui qui n'est pas capable d'inventer son propre bonheur, n'est pas digne d'avoir des loisirs. Le temps libre est um appel à la liberté créatrice.

Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets, 8 juillet 1977)