sexta-feira, 2 de abril de 2010

Les principes et les recettes

On me reproche souvent, à la suite d'une conférence ou d'un article de presse, de ne pas fournir des solutions assez "concrètes" aux problèmes que j'expose.

A quoi je réponds: "J'apporte des principles, je ne donne pas des recettes. Et c'est à vous seul qui'il appartient de trouver, à la lumière de ces principes, la solution adaptée aux circonstances où vous vous trouvez et au but que vous poursuivez."

Quelle est donc la différence entre un principe et une recette? Le principe exprime une vérité universelle et invariable et qui s'adresse à tous les hommes sans exception. La recette concerne plutôt l'art d'appliquer ce principle aux situations concrètes, et elle varie en fonction de celles-ci.

Choissons quelques exemples:

Le principe de la cuisine est de préparer une nourriture saine et savoureuse. Mais les recettes de cuisine sont très différentes selon qu'il s'agit de tel ou tel aliment. On ne prépare pas le poisson comme la viande, ni même le gibier comme le boeuf ou la sole comme la raie. Plus encore: une bonne ménagère n'est pas celle qui obéit servilement aux préceptes des livres de cuisine, c'est celle qui sait modifier ses recettes suivant les ressources qu'elle possède ou le goût de ses convives. C'est d'ailleurs cette marge de liberté et d'innovation qui a permis jusqu'ici les progrès de l'art culinaire.

De même le principle de la médecine est de render la santé aux malades. Mais chaque malade exige un traitement particulier: on ne soigne pas un anémique comme un sanguin, un enfant comme un vieillard, un corps épuisé comme un organisme encore vigoureux. Un médecin qui donnerait la même ordonnance à tous ses clients atteints de la même maladie exercerait bien mal son art...

Un des signes majeurs de la paresse intellectuelle et affective de notre époque, c'est de perdre de vue les principes et de les remplacer par des recettes préfabriquées (j'allais dire par des "trucs") qui pourraient s'appliquer indifféremment à n'importe quelle circonstance et qui dispenseraient de l'effort de penser, de choisir et de créer.

C'est par exemple, dans la mesure où l'amour n'est plus reconnu comme le principe et le but suprêmes de l'existence qu'on voit pulluler les manuels sur l'art de se faire des amis ou de séduire les femmes.

Et c'est là où le principe même de l'autorité est le plus oublié ou contesté que prolifèrent les recettes sur l'exercice du commandement.

Comme si les réalités humaines se réduisaient à de vulgaires mécaniques dont une notice du fabricant nous livre une foi pour toutes le mode d'emploi!

Il faut voir là un des aspects les plus saillants de la crise de finalité que nous avons si souvent dénoncée. Les principes nous montrent le but à atteindre et ils sont immmuables comme lui. Mais la recette concerne uniquement l'ordre des moyens---et ceux-ci doivent s'adapter aux contingences---toujours nouvelles et imprévisibles---qui se présentent. Ainsi, le but d'un fleuve est de parvenir à l'océan, mais sa façon de creuser son lit se modèle, à chaque instant, sur les différentes structures géologiques qu'il doit traverser.

Il faut donc être ferme et intransigeant sur les principes et très souple et très nuancé dans l'art de les appliquer.

Plus que cela: c'est la fidélité aux principes qui nous inspire le meilleur choix des moyens. Un homme profondément pénétré par le précepte évangélique: "aime ton prochain comme toi-même" trouvera spontanément, dans ses relations avec ses semblables, l'intuition juste du mot à dire ou à ne pas dire, du geste à faire ou à éviter: Il n'aura pas besoin de chercher des recettes au-dehors: il lui puisera, et dans les leçons de son expérience personnele.

Les marchands de recettes nous bercent de l'illusion qu'il existe, en matière psychologique et sociale, des passe-partout capables d'ouvrir toutes les portes. Ce n'est pas vrai. Le vrai réalisme---celui qui s'appuie sur l'amour et sur le respect de l'homme---exige au contraire qu'on forge une clef pour chaque serrure...

Fonte: "L'equilibre et l'harmonie" - Editions Fayard