sexta-feira, 9 de abril de 2010

La volonté et l'entêtement

Le Bien, nous dit saint Thomas, est l'objet de la volonté comme le vrai est l'objet de l'intelligence.

Mais la volonté, comme l'intelligence, a ses maladies. Quand nous disons d'un homme, si intelligent soit-il, que c'est un "raisonneur" ou un "cérébral", ces mots expriment une critique plutôt qu'une louange. Nous entendons par là que cet homme préfère l'exercice de l'intelligence à la découverte de la vérité, que la discussion l'intéresse plus que l'enjeu de la discussion,---autrement dit, qu'il raisonne pour le plaisir de raisonner, sans finalité.

De même l'entêtement est une volonté sans finalité.

L'homme volontaire poursuit courageusement l'objet de son désir dans la mesure où cet objet lui apparaît comme un bien et où ses capacites et les circonstances lui permettent de l'atteindre.

L'homme entêté poursuit son but avec autant d'obstination, mais sans se demander si ce qu'il désire est vraiment un bien, ni s'il est capable de l'obtenir. Sa volonté désorientée s'exerce ainsi dans le vide.

Eclairons cette distinction par un exemple. Un homme qui surmonte toutes les difficultés (manque de fortune, différence de milieu social, opposition de familles, etc...) pour épouser la femme qu'il aime et dont il est aimé poursuit l'obtention d'un bien qui est réel: un mariage heureux. Mais celui qui, aveuglé par une passion non partagée, déploie les mêmes efforts pour obtenir la main d'une femme qui ne l'aime pas, n'est qu'un entête. Car de deux choses l'une: ou bien cette femme le repoussera indéfiniment et il se sera obstiné en pure perte, ou bien elle finira par céder, mais cette union sans réciprocité sera fatalement malhereuse---et, dans les deux cas, son entêtement l'aura conduit à l'échec.

L'homme volontaire tient compte des réalités qui l'entourent; il est toujours prêt à modifier sa conduite ou à renoncer à un projet si les circonstances l'exigent; l'homme têtu, au contraire, ne consulte que son désir; il veut toujours avoir raison en dépit de tout et de la raison elle-même et il ne tire aucune leçon de l'expérience.

Cet égarement de la volonté aboutit aux mêmes résultats que l'absence de volonté. Le paresseux ne fait pas ce qu'il faudrait faire, l'entête fait ce qu'il vaudrait mieux ne pas faire. Ainsi un homme faible et irrésolu se laissera dépouiller plutôt que d'affronter les tracas d'un procès juste et utile, tandis qu'un entêté poursuivra sans fin un procès inutile et ruineux.

De même que le mauvais usage de la fortune est un mal plus grave que la pauvreté, de même la volonté mal employée et mal direigée se retourne contre elle-même et fait le malheur e celui qui la possède. Il faut donc apprendre, non seulement à vouloir, mais à bien vouloir, à vouloir le bien. Car une chose n'est pas bonne parce qu'on la désire; il faite plutôt la désirer parce qu'elle est bonne.

Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets, 18 février 1977)