terça-feira, 8 de junho de 2010

Oui devant Mistral

Comment parler de Mistral? Tous les mots du monde ne suffiraient pas à exprimer ni même à évoquer de très loin ce que je lui dois; et un seul suffit---celui qui traduit le consentement sans mélange: oui.

Tout en moi dit oui devant Mistral. Un oui qui vient de plus loin que moi-même, j'allais dire d'avant ma naissance. Les échos les plus confus de mon enfance m'apportent sa voix: j'entends encore les vers de Mireille et des Iles d'or que me récitait mon père alors que j'émergeais à peine des brouillars magiques du premier âge; je n'en saisissais pas encore le sens que je m'imprégnais déjà de leur beauté.

Tout ce passé remonte en moi comme une marée d'harmonie chaque fois que je retrouve Mistral---et non seulement mon passé personnel, mais le passé de ma famille, de ma terre et de ma patrie---tout un monde fait de travaux, de traditions, de réalités et de rêves, dont il ne reste presque plus rien aujourd'hui et que Mistral, par l'éclair de son verbe, a sauvé du naufrage et de la mort. Merveilleuse dialectique de l'immanence et de la transcendance: je me sens simultanément rendu à moi-même et projeté hors de mes limites.

Stérile attachement au passé, refus de l'histoire et de l'evolution, disent quelques écervelés, transfuges de la tradition, dont l'unique souci est de ne pas manquer le dernier train. Non. Mistral sait que les souvenirs et les espérances s'abreuvent à la même source---et ce qu'il chante dans le passé, ce n'est ni le cadavre ni l'épave de ce qui fut, mais la lumière d'éternité qui l'enveloppe: "Tout ce qui n'est pas de l'éternité retrouvée est du temps perdu", ai-je écrit jadis. Mistral nous invite, non à remonter le cours du temps, mais, suivant le mot de l'Âpotre, à racheter le temps (redimire tempus), c'est-à-dire à résister à son pouvoir destructeur en imprégnant toutes nos heures d'une sagesse et d'une beauté dont la source n'est pas dans le temps. Dans ce sens les leçons du passé sont des promesses pour l'avenir, car seules les fleurs artificielles n'ont pas besoin de racines.

Fonte: "Ils sculptent en nous le silence" - Ed. François Xavier de Guibert