Lamentable et révoltant fait-divers: le suicide récent d'une jeune enseignante moralement et nerveusement épuisée par la turbulence et l'agressivité de ses grands élèves. Là-dessus, un journaliste fait remarquer que la torture abolie comme moyen d'investigation juridique, subsiste encore dans les écoles sous forme de l'élève bourreau et du professeur victime.
Le même journaliste voit avec raison la cause première de cette situation scandaleuse dans les lois sur la scolarité obligatoire. Des adolescents qui n'ont ni dons ni goût pour des études prolongées réagissent soit par l'ennui soit par la violence contre l'ingestion forcée de cette instruction indésirable et se vengent de cette brimade sur l'innocent professeur chargé d'appliquer des lois dont il n'est pas l'auteur.
Au nom de quels principes contraint-on des jeunes êtres à apprendre ce qu'ils n'ont aucune envie de savoir et que, à supposer qu'ils l'aient vaguement appris, ils s'empresseront d'oublier des qu'ils s'ébroueront hors de l'école?
De l'égalité démocratique? Passe encore pour l'enseignement strictement primaire (apprendre à lire, à écrire et à compter, comme on disait autrefois), mais au-delà le vieux système des bourses suffisait amplement à donner leurs chances aux meilleurs élèves. Je ne vois rien démocratique dans le fait d'imposer le gavage aux inappétents: le mot tyrannie convient mieux...
De la promotion sociale? Elle s'exerce plutôt à rebours, car en prolongeant la scolarité pour des adolescents mal doués pour les études abstraites, on fabrique à la chaîne des aigris et des révoltés qui perdent sur les deux tableaux: celui de la culture pour laquelle ils n'ont aucun intérêt profond et celui du travail manuel qu'ils n'ont pas appris assez tôt et qu'ils considèrent souvent comme un pisaller, sinon une déchéance.
J'avoue me sentir dans un monde à l'envers quand je vois l'aisance économique et la considération sociale dont jouissent les artisans de mon village (maçons, menuisiers, plombiers, etc.) tandis que leurs enfants traînent leur morosité turbulente sur les bancs d'une école surpeuplée d'où ils sortiront demain minuscules fonctionnaires, sinon chômeurs. De quel côté est la promotion et de quel côté le déclassement?
Peu importe au législateur: la durée de la scolarité est fixée pour tous une fois pour toutes.
De même, sauf exceptions qui deviennent de plus en plus rare, pour l'âge de la retraite. La hache chronologique s'abat indifféremment sur tous, depuis ceux qui, prématurément usés, restent accrochés à des fonctions qu'ils ne sont plus capables de remplir jusqu'à ceux dont les années n'ont pas altéré la puissance de travail et de création. D'où la présence de tant d'inaptes parmi les actifs et le rejet de tant de compétences dans le camp des inactifs. Ce n'est plus la valeur ou la non valeur d'un homme, c'est la date de sa naissance qui décide de son maintien ou de son élimination...
Ainsi, pour les jeunes comme pour les adultes, l'antique légende du lit de Procuste se mue en réalité: on ne mesure pas le temps à l'homme, on étire ou on raccourcit l'homme pour le mesurer au temps...
Je sais que le problème n'est pas simple, dans une société comme la nôtre, de plus en plus régie par les interventions des pouvoirs centraux et soumise à la loi des grands nombres. Les lois, par définition, sont faites pour tous. Peut-être faut-il déplorer qu'elles soient trop nombreuses (nous avons en France 10.000 lois entre nous et la liberté, disait Victor Hugo...) et surtout trop mal adaptées à la pluralité des individus et des groupes. La hache, dont nous parlions plus haut, gagnerait à être assortie de quelques antennes...
On parle beaucoup, dans les sphères officielles, de la qualité de la vie. J'estime que tout progrès dans ce sens implique une rigoureuse attention à la diversité et à la qualité des êtres,---ce qui exclut a priori le découpage uniforme de nos destinées en rondelles symétriques.
Le même journaliste voit avec raison la cause première de cette situation scandaleuse dans les lois sur la scolarité obligatoire. Des adolescents qui n'ont ni dons ni goût pour des études prolongées réagissent soit par l'ennui soit par la violence contre l'ingestion forcée de cette instruction indésirable et se vengent de cette brimade sur l'innocent professeur chargé d'appliquer des lois dont il n'est pas l'auteur.
Au nom de quels principes contraint-on des jeunes êtres à apprendre ce qu'ils n'ont aucune envie de savoir et que, à supposer qu'ils l'aient vaguement appris, ils s'empresseront d'oublier des qu'ils s'ébroueront hors de l'école?
De l'égalité démocratique? Passe encore pour l'enseignement strictement primaire (apprendre à lire, à écrire et à compter, comme on disait autrefois), mais au-delà le vieux système des bourses suffisait amplement à donner leurs chances aux meilleurs élèves. Je ne vois rien démocratique dans le fait d'imposer le gavage aux inappétents: le mot tyrannie convient mieux...
De la promotion sociale? Elle s'exerce plutôt à rebours, car en prolongeant la scolarité pour des adolescents mal doués pour les études abstraites, on fabrique à la chaîne des aigris et des révoltés qui perdent sur les deux tableaux: celui de la culture pour laquelle ils n'ont aucun intérêt profond et celui du travail manuel qu'ils n'ont pas appris assez tôt et qu'ils considèrent souvent comme un pisaller, sinon une déchéance.
J'avoue me sentir dans un monde à l'envers quand je vois l'aisance économique et la considération sociale dont jouissent les artisans de mon village (maçons, menuisiers, plombiers, etc.) tandis que leurs enfants traînent leur morosité turbulente sur les bancs d'une école surpeuplée d'où ils sortiront demain minuscules fonctionnaires, sinon chômeurs. De quel côté est la promotion et de quel côté le déclassement?
Peu importe au législateur: la durée de la scolarité est fixée pour tous une fois pour toutes.
De même, sauf exceptions qui deviennent de plus en plus rare, pour l'âge de la retraite. La hache chronologique s'abat indifféremment sur tous, depuis ceux qui, prématurément usés, restent accrochés à des fonctions qu'ils ne sont plus capables de remplir jusqu'à ceux dont les années n'ont pas altéré la puissance de travail et de création. D'où la présence de tant d'inaptes parmi les actifs et le rejet de tant de compétences dans le camp des inactifs. Ce n'est plus la valeur ou la non valeur d'un homme, c'est la date de sa naissance qui décide de son maintien ou de son élimination...
Ainsi, pour les jeunes comme pour les adultes, l'antique légende du lit de Procuste se mue en réalité: on ne mesure pas le temps à l'homme, on étire ou on raccourcit l'homme pour le mesurer au temps...
Je sais que le problème n'est pas simple, dans une société comme la nôtre, de plus en plus régie par les interventions des pouvoirs centraux et soumise à la loi des grands nombres. Les lois, par définition, sont faites pour tous. Peut-être faut-il déplorer qu'elles soient trop nombreuses (nous avons en France 10.000 lois entre nous et la liberté, disait Victor Hugo...) et surtout trop mal adaptées à la pluralité des individus et des groupes. La hache, dont nous parlions plus haut, gagnerait à être assortie de quelques antennes...
On parle beaucoup, dans les sphères officielles, de la qualité de la vie. J'estime que tout progrès dans ce sens implique une rigoureuse attention à la diversité et à la qualité des êtres,---ce qui exclut a priori le découpage uniforme de nos destinées en rondelles symétriques.
Fonte: Revista "Itinéraires" (Billets, 17 décembre 1976)