quinta-feira, 11 de julho de 2013

Y a-t-il une Vérité? (II - Final)

Pourquoi l'esprit serait-il en nous la seule faculté ouverte sur le néant?

Il y a une vérité. Elle a trop de masques pour ne pas avoir un visage, trop de caricatures pour ne pas avoir une forme. Pourquoi l'esprit serait-il en nous la seule faculté ouverte sur le néant? Saint Thomas disait qu'un désir naturel ne peut pas être vain. Si un mouton désire de l'herbe, il peut en manquer, mais ce désir de l'herbe qu'il porte en lui prove déjà que l'herbe existe quelque part. Mais cette vérité --- et c'est qu'on oublie trop aujourd'hui --- ne dépend pas de l'homme: il la reçoit, il ne la crée pas, il n'en est pas la mesure. Celui qui la cherche au niveau de l'homme --- de ses passions, de ses goûts, de ses moeurs, de ses morales, de ses politiques --- devient fatalement un fanatique ou un nihiliste. Les vérités humaines sont si diverses, à la fois si sincèrement vécues et si opposées! Pascal, qui était sceptique au sens où il convient de l'être, je veux dire sceptique à l'égard de nos vérités relatives par pressentiment de la vérité absolue, Pascal l'a dit une fois pour toutes: "Vérité en deçà des Pyrènées, erreur au-delà." Nous sommes tout à fait d'accord. Mais pour dire cela, il faut pressentir une vérité pour laquelle il n'y a pas de Pyrénées... Comment pourrions-nous juger qu'une vérité n'est vraie qu'en partie et dans certaines conditions, si ce n'est par référence implicite à la vérité absolue?

Chaque homme se raccroche à l'une ou à l'autre des parties de la Vérité inaccessible dans sa totalité. Et nous nous blessons aux limites de ces vérités partielles. Si nous souffrons, parfois jusqu'au désespoir, de ne pas atteindre la Vérité, c'est que nous sommes faits por elle. Si nous remplaçons par tant de faux dieux le Dieu que nous avons tué, si l'idolâtrie devient de plus en plus une nécessité vitale, c'est que, refusant la nourriture, nous avons gardé la faim. "Quand on ne croit plus en dieu, dit Chesterton, ce n'est pas pour croire en rien, c'est pour croire à n'importe quoi." Nietzsche au moins a été logique en poussant jusqu'à la folie le refus de Dieu et le scepticisme intégral qui en découle: le suicide de l'intelligence prouve son ordination à la vérité comme le suicide physique prouve l'âme et sa destination à l'éternité. La bête ne doute pas, elle ne désespère pas, et elle ne se tue pas: il faut être au-dessus du temps pour en arrêter le cours...

Chercher la vérité au niveaus de l'humain engendre aussi la révolte. En cela, notre siècle est servi à souhait: comment ne pas douter de tous les idéals et de toutes les vertus quand, n'ayant plus de caution divine, on voit ce qu'ils recouvrent dans l'homme et à quoi l'homme les fait servir. Les freudiens et les marxistes ont beaucoup insisté sur ces points: pour les uns, compromis entre la libido et le surmoi, et pour les autres, mystification idéaliste. Mais quoi? Si vous me dites que la morale bourgeoise vous révolte, je vous répondrai: "Qu'est-ce donc qui se révolte en vous, si ce n'est l'appel vers une pureté, une authenticité, une "vertu" que la morale bourgeoise, ou plutôt l'homme bourgeios, affirme et trahit en même temps?" Au reste, si vous niez la vérité parce que l'homme la trahit, on peut appliquer le même traitement à la morale révolutionnaire: que dissimule-t-elle? Il est facile d'y reconnaître des instincts comme l'agressivité (pourquoi luttez-vous? Parce que vous avez envie de lutter...), l'instinct destructeur (qui fait pencher pour la grande solution de facilité...), le principe de plaisir (dans la révolution sexuelle), etc.

Même un Sartre affirme encore sa foi en une vérité quand il distingue l'homme de bonne foi de l'homme de mauvaise foi --- cet homme qu'il appelle, en termes plus énergiques, "le salaud". Car dans une philosophie complètement relativiste, il serait impossible de faire cette distinction. Si on dénonce le mensonge, ce ne peut être qu'au nom de la vérité. Alors, après cela, comment ose-t-on tirer argument du mensonge pour nier l'existence de la vérité? D'abord, on reconnaît le mensonge dans le miroir de la vérité, ensuite, on casse le miroir! Mais si tout est mensonge, votre haine du mensonge n'est qu'un mensonge de plus!

Le drame de l'homme est de ne pouvoir échapper à son juge intérieur: il peut le tromper, il ne peut pas le récuser. La conscience morale, qui crée en nous ce besoin de vérité, est indestructible...

Oui, il y a une Vérité, il y a la Vérité. La Vérité est une. Devant tant de négations accouplées à tant d'idolâtries, devant ce maquis de vérités partielles qui s'entre-dévorent, nous devons affirmer l'existence d'une vérité transcendante à tout et qui embrasse tout. Nous la devinons par transparence dans l'ordre de l'univers et nous la sentons en nous, dans cet appel vers une pureté et une perfection qui nous manquent. Vous connaisez la belle formule de Kant: "Le ciel étoilé au-dessus de nos têtes et la loi morale en nous".

Cela dit, nous n'admettons pas la séparation kantienne entre la raison pure et la raison pratique. Le fait que nous ne puissions rien percevoir hors du temps et le l'espace, ni rien penser hors des structures de la pensée, ne prouve rien contre la réalite objective des choses perçues et pensées. Par exemple, nous ne voyons que par nos yeux: depuis quand cela doit-il signifier que ce que nous voyons n'existe que dans nos yeux? Nous ne respirons que par nos poumons, nous ne digérions qu'avec notre estomac: cela prouve-t-il quelque chose contre la réalité de l'air et de l'aliment? L'isolement de l'inteligence depuis Kant (peut-être depuis Descartes...) qui contrait l'intelligence à l'autophagie --- la pensée condamnée à penser la pensée au lieu de refléter l'être --- est le grand schisme du monde moderne. L'être féconde la pensée, mais, si l'on coupe la pensée de l'être, elle ne remonte pas à partir d'elle-même jusqu'a l'être.

Le reflet de l'être dans la pensée, c'est ici l'intuition irréductible d'une vérité totale --- même inconnue, même inconnaissable --- qui permet de sauver toutes les vérités partielles, en les situant à leur niveaus et dans leurs limites. Cela est vrai par rapport à... dans la mesure où... Hors de cette intuition régulatrice, on ne sait plus faire la part du vrai dans les choses, soit qu'on érige la vrais relatif en vérité absolue, soit que, par réaction, on le nie absolument. Simone Weil faisait remarquer que la métaphysique de Platon accorde sa place à la psychanalyse en tant que science, tandis que la philosophie freudienne élimine la métaphysique de Platon... Le regard d'en haut reconnaît l'existence des choses d'en bas, le regard d'en bas dénie l'existence aux choses d'en haut...

L'homme qui aime la vérité est toujours en marche.

Un adage oriental, qui est aussi très chrétien, dit ceci: "Celui qui cherche la Vérité est un sage, celui qui croit l'avoir trouvée est un fou, car la Vérité est un lieu où l'on n'arrive jamais." Le vrai devient faux quand on s'y arrête, quand on s'y installe... L'homme qui aime la vérité est toujours en marche, car on va à la Vérité comme saint Grégoire de Nysse dit qu'on va à Dieu: "par des commencements sans fin" --- Dieu à qui il sadresse ainsi: "Ô toi, l'au-delà de tout!

Et on ne va pas à la Vérité --- à cette Vérité unique et transcendante qui fonde les vérités --- seulemente avec l'intelligence, on y va avec tout son être. "Il faut aller à la vérité de toute son âme" nous dit Platon. Certes, l'intelligence est en nous la faculté du vrai, mais elles a besoin, pour s'exercer et s'épanouir, du concours de nos autres facultés. Nous touchons ici à la distinction scolastique, qui me paraît essentielle, entre l'ordre de spécification et l'ordre d'exercice. Par exemple, les poumons sont l'organe spécifique de la respiration, mais tout de même, ils ne suffisent pas pour respirer: si je pendais mes poumons tout seuls dans le vide, eh bien! c'est bien simple, ils ne respireraient plus. Et pourtant, on respire par les poumons... De même, si je me séparais de mon intelligence, si je la laissais se débrouiller toute seule, elle n'arriverait ni à la Vérité ni à rien du tout: elle ne fonctionnerait plus.

Bien sûr, par la réflexion philosophique nous pressentons déjà que, sans la Vérité absolue --- cette Vérité inconnue et inconnaissable ---, toutes les choses connues ou à connaître ne sont qu'apparences dépourvues de sens. Mais la réflexion philosophique est comme un premier pas vers la Vérité, et on doit nécessairement aller au-delà, on doit se donner tout entier, dès lors, il ne s'agit plus de réflexion pure mais de vie, de participation totale --- et donc d'amour. Ce n'est que par l'amour qu'on dépasse les apparences. "La vie est un songe, dit Calderón, un songe auquel on n'échappe que par l'amour."

Pour nous, chrétiens, cet amour qui déchire la trame des apparences se nomme foi et charité; c'est une adhésion à un ordre de choses qui transcende le domaine de l'expérience et de la pure rationalité; c'est une aprticipation, par consentemente au mystère, à la vie divine, et par conséquent à la Vérité suprême. Autrement dit, nous sortons du rêve pour entrer dans le mystère, nous nous détournons des fausses lumières pour pénétrer dans la nuit. Une nuit où l'intelligence, unie à la foi, "s'efface en s'exerçant", comme dit Simone Weil. Voyez les métaphores de la nuit chez tout les mystiques...

isi s'insère le prodige de la médiation divine. Dieu vient à notre rencontre, Il descend vers nous dans la personne de son Fils, Il se fait homme, Il se fait notre frère. Le Christ est le trait d'union entre notre infime esprit humain et le mystère de Dieu. "Je suis la Voie, la Vérité et la Vie." dans un petit livre fort peu connu, qui a été écrit sur Charles Du Bos, on cite une phrase admirable trouvée dans une lettre de labbé Zundel à Charles Du Bos, qui était alors très malade, une phrase qui dit tout en peu de mots: "Abandonnez-vous à travers le Christ à tout ce qu'il y a d'inconnu en Dieu."

Enfin, si, pour reprendre l'image de Platon, l'âme est un miroir --- un miroir dont l'essence est plus dans l'object réfléchit que dans la matière qui le compose ---, eh, bien! c'est simple: il suffit de nettoyer le miroir pour que Dieu apparaisse. C'est le sens du mot de l'Évangile: "Bienheureux les coeurs purs." Suivre l'enseignement du Christ, c'est se rendre assez pur, assez pauvre (désencombré des biens de ce monde), pour laisser Dieu entrer en nous. Et je conclurai par cette parole de Simone Weil: "Au lieu de chercher à savoir si Dieu existe, il faut se mettre intérieurement dans une situation où Dieu, s'Il existe, ne peut manquer de venir à nous."